Le miracle a eu lieu, « c’est Design ». L’objet en vitrine fait mouche, les passants s’agglutinent frénétiquement aux parois de verre tentant de percer le secret de cette forme intrigante. Les reflets et les lumières projetés dans les yeux sont autant d’obstacles qui jouent de l’illusion. Dans la rue derrière, rien n’échappe aux marcheurs, ils se rapprochent curieux de ce regroupement, puis saisis par l’origine de ce spectacle, découvrent la pièce de toutes les attentions.
Percer la foule, fait partie de ce rituel. Avoir de bons yeux est une nécessité. Être grand ou savoir se faufiler est une qualité. Il y a des codes, des signaux extérieurs. Toute une variation de stimuli plus travaillés les uns que les autres. Il y’a un émetteur, un récepteur et au milieu la chose. C’est le sujet de toutes les attentions et de toutes les intentions. Carrefour de toutes les envies, de tous les désirs comme de toutes les obligations. Il faut acheter et il faut vendre sous le sermon de l’offre et de la demande.
Habillé pour l’occasion, ce matin-là je marche derrière et j’observe. Je garde mes distances, je crois que le coup n’est plus pour moi. J’avais spéculé pourtant depuis des mois en feuilletant les catalogues de la marque. La page est cornée et dans la marge les calculs des possibilités de différés de paiement, en trois ou en cinq fois pour le coup témoignent encore de mon impatience. Chaque manœuvre sur internet est depuis ce jour où il est apparu sur mon écran, ponctué de signaux publicitaires qui me rappel. Je navigue dans un univers du désir orienté vers cette chose. Il n’y aura pas de point final sans le passage à l’acte. Je suis pourtant là, observateur abattu conscient que mon heure est passée. Il ne me reste presque plus rien de ce désir. Chaque nouveau spectateur attiré par l’événement attise un peu plus cette déception. Je ne suis pas seul, destiné et élu par ce produit. Je manque de singularité, je me le suis toujours dit mais j’en suis à ce moment même convaincu et abattu. Je n’ai jamais dit que je souhaitais partager. Je n’ai jamais imaginé, ne serait-ce un instant que comme les autres, je serais là. Je crois même distinguer le voisin du 2ème. Est-il de ces simples curieux ou comme moi seulement deux mètres au-dessous a-t-il élaboré chaque jour des plans, fait des projets de vie autour de ce même objet ?
Nous ne nous sommes jamais rencontré. La simple sensation d’être si commun me démunie. J’attends ce moment où je vais me libérer de ce poids qui m’assaille. J’attends ce moment ou le goût amer de cet échec me quittera. J’attends car pour le moment je ne peux rien faire d’autre. Espérer que l’envie revienne et que je retrouve cette raison de vivre, voilà mon seul objectif. Qu’est-ce qui redonnera un sens à mon existence ? Je pars déçu mais convaincu. Je trouverais.
La rue semble aussi vide que moi à cet instant. Je mets quelques minutes, je descends quelques rues avant d’oser me rapprocher des enseignes lumineuses. Petit à petit j’effleure à nouveau timidement les vitrines. Je ne distingue que mon reflet dans les miroirs commerciaux. Les devantures défilent et je me sens ailleurs. Je vais passer à autre chose.
A la prochaine je reprends le boulevard puis m’engagerais dans la bouche de métro. Celle qui clôturera ma piètre conquête. Soudain je me stop. Droit face à la glace. Je ne suis plus perturbé par le reflet de mon manteau noir. Je vois plus loin. Au travers de la vitre, derrière le voile rouge posé sur la gauche, je découvre le désir. Le désir qui me rendra unique. La chose parfaite ! En exposition seulement. Je vais demander le catalogue. Je regarderais le jour de sa sortie officielle. Je serais là.
images IFmag #9 : Aude Fournié, Nolwen Durand, automne 2014
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